Agenda global, décisions nationales

Le Monde publie ce soir certains éléments du cinquième rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (plus connu sous son acronyme de GIEC). Il faut peut-être rappeler en quelques mots que c'est un organe original créé dès 1988 à l'initiative des Nations-Unies, notamment dans le cadre du Programme des Nations Unies pour l'Environnement, ainsi que par l'Organisation Météorologique Mondiale. C'est surtout un exemple plutôt rare de volonté politique (même limitée) et de quête d'expertise pour l'élaboration de diagnostics préalables à l'action publique.
Depuis sa création, le GIEC est à l'évidence l'un des acteurs essentiels à l'origine du souci croissant pour les effets nocifs de la pollution atmosphérique sur l'environnement, même si les experts continuent aussi à formuler avec prudence certaines conclusions, soulignant par exemple seulement le caractère "très probable" des effets des activités humaines sur le réchauffement climatique. La liste des "problèmes" est connue, c'est une litanie effrayante : hausse des moyennes de température sans antécédents, hausse du niveau de la mer par la réduction des glaciers en montagne et de la calotte glaciaire avec toutes les conséquences imaginables sur certains territoires côtiers (leur disparition, quoi), déplacement ou extinction de certaines espèces végétales et animales, atteintes multiples à la santé humaine, etc. La tonalité du rapport actuel paraît spécialement alarmante, certains diagnostics critiques (en particulier pour les moyennes de température) étant réévalués à la hausse. Bref, pour parler avec le langage de l'analyse des politiques publiques, les experts du GIEC sont la source de récits répétés qui ont fini par construire et inscrire le problème du réchauffement climatique sur l'agenda global.
Cette accumulation de données reste contestée. En France, certains acteurs sont devenus des professionnels du "climato-scepticisme" (Début de la scène 2 de l'acte 1 : entrée de Claude Allègre). Mais il s'agit moins généralement de contre-expertise à prétention scientifique que de contre-argumentaires mettant en avant d'autres facteurs et/ou d'autres enjeux à prendre également en compte : les pays en voie de développement dénoncent un diagnostic occidental qui voile la responsabilité des premiers pays industrialisés, tout en empêchant potentiellement l'industrialisation et le développement des pays émergents ; les industriels de certains pays occidentaux développent un lobbying qui vise à brouiller les perceptions qui se diffusent dans la société et à freiner les politiques publiques qui limiteraient l'activité économique pour lutter contre le réchauffement, etc. En période de crise, ces argumentaires peuvent être particulièrement audibles...
Le constat, également dressé par Le Monde, c'est que l'action publique, précisément en raison de ces incertitudes ou blocages, n'a pas pris le relai de ces diagnostics. Les sommets internationaux ont été décevants, voire inutiles, en particulier le sommet de Copenhague en 2009.
Là aussi, pour reprendre un vocabulaire indigène, l'une des raisons tient à la rareté des alternatives de choix praticables et crédibles. J'ai appris ainsi, toujours dans ce même dossier, qu'existaient des techniques de géo-ingénierie, qui consisteraient par exemple à diffuser dans la stratosphère des particules (mais quelles particules ???) pour "voiler" le soleil, si j'ai bien compris, et favoriser ainsi un refroidissement des températures. On comprend que les politiques puissent hésiter...
Plus profondément, l'un des problèmes tient évidemment au fait que l'agenda global peu à peu constitué coexiste avec des processus de décision nationaux. Où l'on retrouve la politique au sens large (on y était déjà...). L'harmonisation des intérêts et les compromis nécessaires à toute décision sont déjà compliqués à l'échelle d'une nation, ils sont évidemment démultipliés au niveau global. Même un consensus ambigu, qui consisterait à formuler au accord minimal permettant d'initier l'action publique, paraît hors de portée.
Par ailleurs, l'action politique suppose que soient réunies certaines conditions nécessaires à l'activation des acteurs décisionnels. Une illustration avec une anecdote connue aux États-Unis : Franklin Roosevelt, après avoir reçu et entendu des lobbies, aurait dit la chose suivante : "Bien, vous m'avez convaincu. Maintenant, obligez-moi à le faire". Pour agir, les acteurs politiques doivent en effet y être incités, conduits, voire contraints. Ils doivent en particulier pouvoir identifier le bénéfice symbolique, matériel, électoral, qu'ils peuvent tirer d'une décision, a fortiori lorsque celle-ci peut avoir pour conséquence de mécontenter d'autres clientèles. Il est peut-être temps de donner le droit de vote aux ours polaires...






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